Première introduction

Plutôt que des fiches de lecture, plutôt que des critiques, plutôt que quelque objet auquel on ait déjà donné nom et schéma, voici des textes sans ordre, sans forme adéquate. Voici des mots légers ou raccourcis, peut-être naïfs, peut-être lumineux. Mais, du moins, libres.


« Les propos », parce que la forme qu’Alain donne à ses réflexions, c’est de celle-là que je me sens le plus proche. C’est-à-dire : pas de sentence, peu d’obscurité, le jargon sacrifié aux images, moins d’équations que d’impressions. De la philosophie « par petites touches ».


C’est aussi une affaire de mémoire. Les discussions qui ont fructifié, les romans qui ont tout bousculé en nous, tout cela est souvent l’effet du sang chaud. Mais il est bon d’en garder trace quelque part, quitte à ce que la lave refroidisse en ardoise. Peu importe : le ridicule est toujours préférable à l’oubli.


Le 16 juin 2020



Seconde introduction

Ce jour, j’ai décidé qu’il ne pouvait y avoir une seule introduction à cet étrange édifice, mais autant que nécessaire, c’est-à-dire à chaque rebond de ce qu’est cette cathédrale sans plan, que je souhaite désosser et reconstruire à chaque jour qui la cristallise davantage. Mais le prix pour être neuf, c’est de conserver.


Je construis quelque chose dont j’arpente le chemin, et ce chemin mène à moi, et en moi aux autres et à l’univers, mais cette tâche est insurmontable, et c’est pour ça qu’il faut la surmonter. La honte, une fois la lave refroidie, est bienfaisante. Être insatisfait et en souffrir, mais construire par-dessus et détruire en laissant vivre.


Ce que je construis n’a pas de sens – seulement une direction. Ce que je construis n’anticipe rien, mais observe son mouvement. Ce que je construis n’a pas de fondation, mais tient debout mieux que les piliers de mille ans. Plus l’erreur est grande et plus proche est la vérité. Une chose est sûre : ne rien détruire est la meilleure façon de détruire – pour renaître.


Le 17 juillet 2020

Troisième introduction

En progressant dans l’écriture de mes articles – j’essaie d’y mettre le moins possible de réflexions sur l’étrange entreprise que voilà – je ressens très fortement deux problèmes, qui sont aussi des sortes de moteur – moteur comme désir de m’améliorer, et moteur comme cadre ou contrainte propice à un travail rigoureux et dirigé.


Le premier de ces problèmes, c’est celui de la légitimité. Non seulement parce que je ne suis pas renseigné à fond sur mes sujets – mais pire encore : parce que je prétends que c’est cette méconnaissance qui me donne accès à des propositions, sinon nouvelles, du moins intéressantes par leur naïveté et leur complète incapacité au cynisme. On pourrait voir ici un encouragement à l’inculture et à la prise de position irréfléchie, mais je crois que c’est justement le contraire. J’y vois, pour ma part, la nécessité de rester aux aguets, la tête baissée pour recevoir le bât, quand l’érudition a parfois le dangereux goût du sommeil de la certitude.


Le deuxième, qui comporte comme le précédent un avantage et un inconvénient, c’est celui de la dimension – comme quantité, s’entend – de mes textes. Je suis bien décidé à ne jamais dépasser deux pages sur word, bien que, une fois le javelot lancé, il lui est très difficile d’atterrir, et cet atterrissage est souvent forcé. Ces textes lancent une conclusion alors même qu’ils font difficilement figure d’introduction. Mais cette contrainte est pourtant bien une bénédiction, car elle permet à la fois multiplicité des sujets et clarté synthétique (c’est du moins ce vers quoi je tends).


Il y a bien un troisième problème, mais qui concerne moins moi-même que mon lecteur inconnu, celui que je n’assume pas encore. C’est le problème du style. Il y a le style littéraire, mais il y a aussi le style des sujets choisis. Comme ma seule rigueur est de quantité et que je souhaite observer à la lettre la liberté de déploiement de mes idées (c’est aussi à dire que je ne reviens jamais sur mes « premiers jets »), il y a ici un sacré air de foutoir et de grand n’importe-quoi. Non seulement je suis influencé par des auteurs, mais en plus mon humeur me fait constamment changer de viseur, d’intérêt, d’inclination. Je me demande si je trouverais un jour la racine commune à cette friche, le sens de tout ça, la raison de cette nécessité.


Après tout, c’est peut-être cette perpétuelle tendance à me justifier (est-ce que je ne serais pas même entrain de m’excuser ?) qui finira bien un jour par porter un peu de lumière sur pourquoi ça. Ou bien justement, c’est quand le besoin ne se fera plus sentir d’introduire ces introductions que je comprendrai enfin de quoi il s’agit.


Le 2 septembre 2020

Quatrième introduction

A la lecture des Fictions de Borges, et en accord avec mon intérêt grandissant pour l’existence d’un phénomène énigmatique que j’appelle impuissamment « l’autre monde », je décide de consacrer une catégorie de ce site précisément à la fiction, laissant derrière moi le commentaire, si obscur soit-il, pour quelque fois m’engager moi-même dans ce voyage.


La sincère difficulté de la création est qu’elle est imitatrice de circonstance – l’intérêt littéraire, pictural, cinématographique du moment où l’on crée parasite la singularité. Il faut deux choses : l’accepter comme inévitable, du moins au début ; l’accepter comme utile à notre propre construction. Le singulier (ce qui fait l’homme unique qui crée) prend une petite part, s’il n’est pas marionnettiste, qui s’étend et grignote le pluriel (nos admirations variées et incompatibles) et prend tout pouvoir, après la découverte de soi. Cette découverte, un jour, passe par le meurtre de l’art (ne plus voir de film, ne plus lire, ne plus contempler) – et c’est une apothéose. Un moment ultime, pourrait-on dire, où l’artiste s’est dédoublé. Une part de lui vit dans l’autre monde.


Ces fictions sont aussi des propos. Elles sont contraintes par la taille, et elles ne sont jamais indifférentes à leurs outils (les lettres, les images, les formes d’énonciations) qu’elles vont altérant à mesure que la fiction se déploie et se détruit dans le même mouvement. Quelques fois, il faudrait que ces fictions soient négatives – c’est-à-dire qu’on en sache davantage avant de les avoir lues qu’après. Elles doivent créer des trous, des énigmes, des questions – en somme : enlever les briques du monde ; inventer une fenêtre qui laisse voir, comme un judas, le vertige de l’autre monde.


Le 13 octobre 2020