Les lièvres ont la peau bleue

Puisque je suis libre, je dois faire du neuf. Voilà un bon terrain pour du neuf, du tout neuf. Je peux m’interroger sur comment parler de cinéma sans penser à la bonne convention, et je suis content.


J’ai écrit ça il y a huit ans – et ce que j’écris aujourd’hui aura aussi huit ans un jour. Je pressentais déjà que pour parler d’une chose, il faut parler d’autre chose – par exemple, pour parler de Bleu de Kieslowski, il faut parler des Poètes d’Aragon. Mais je pressens aujourd’hui que pour parler d’une chose, il faut parler de son contraire. Mais le contraire, ce n’est pas aussi simple que l’inverse (comme le revers d’une pièce ou un reflet de miroir).


Par exemple, qu’est-ce que le contraire d’un film ? Et plus particulièrement, qu’est-ce que le contraire du Bleu de Kieslowski ? La question semble parfaitement insensée, et c’est tant mieux : j’achète ce terrain vide et j’y construis ce que je veux. D’abord je me dis que dans contraire il y a « contre ». Alors, il y a lutte. Et s’il y a lutte, il y a lutte pour. Par exemple, les racines d’un arbre poussent à l’inverse des cimes, en proportion : les unes descendent, les autres montent. Elles vont dans des directions opposées, contraires, mais les unes ont besoin que les autres s’enfoncent vers le bas pour s’épanouir vers le haut. Voilà une belle lutte pour. Appelons ça contrepour, et voilà qui fait tomber en ruines tous nos manichéismes, point pour la nuance, mais pour le bienheureux paradoxe : le seul porteur de sens en ce monde.


Pour parler du Bleu de Kieslowski, il faut donc parler de ce qui lutte pour contre le film. Qui pousse comme un lierre sur lui, et l’embelli et l’étouffe en même temps. Et cela, ce sont les lièvres, ces petits reflets que la langue russe nomme ainsi, et qui courent sur les surfaces planes et sur les peaux, et dont Aragon est assez convaincu qu’ils ont des oreilles, comme le lièvre « bien que rien ne puisse justifier cette prétention-là ».


Mais si on y réfléchi bien, les lièvres sont la définition des films de Kieslowski et ils courent partout dans ses films, ils sont sur les peaux, dans le verre, et même dans la texture de l’image. Les lièvres gangrènent ses films, les dévorent, les rongent. Mais au détour d’une guêpe qui s’empêtre dans un verre de grenadine, ou d’un sucre qui s’imbibe avant de tomber dans la tasse – l’humanité, incompréhensiblement, apparaît. Pourquoi ce lexique ? Parce qu’il faut bien exprimer avec beaucoup de sang les mystères. Parce que c’est en n’expliquant pas ce contrepour – du petit et du grand, de l’objet et de l’homme, qui sont contraires et un dans un seul souffle, un seul mouvement – parce que c’est en ne l’expliquant pas qu’on comprend.


Vigo voulait « un cinéma qui mange de la viande ». Kieslowski veut un cinéma qui court comme mille lièvres. On sent bien que ces propositions sont vraies, mais il ne s’agirait surtout pas d’en faire des thèses pour les découvrir de l’épais mystère. C’est avec les dents que vous comprendrez. L’obscurité ne disparaît pas avec la lumière, mais en fermant les yeux.


Le 14 juillet 2020

Le cinéma et la philosophie

J’ai toujours voulu écrire une espèce de traité, de livre, de manifeste, ou quel qu’en soit le nom, s’il faut donner un nom. Ce serait quelque chose comme Le cinéma et la vie ou bien Le cinéma sorti de terre. Mais ces deux titres ont quelque chose de trop idéal, et ne sont pas assez en lien avec l’entité qui gouverne le cinéma, autant qu’il le singularise relativement aux autres arts : l’économie.


Je voudrais parler de trois idées que j’ai eu, ou plutôt de trois morceaux d’une seule et même idée qui n’a pas encore fini de se former.


Je ressens par exemple très fortement que le cinéma, c’est la vie. Je me heurte sans cesse à de fameuses explications de collège dont on me rabâche les oreilles : le cinéma est une construction de la vie, ou le cinéma donne l’illusion de la vie. Mais c’est m’opposer des évidences, c’est me dire que le temps et l’espace sont infiniment divisibles en théorie alors qu’effectivement – et inexplicablement – l’un se déroule et l’autre s’étend. Alors il y a un autre sens à ce le cinéma, c’est la vie. Un sens qui n’est pas mathématique, mais bien intuitionnel. En effet, il faut comprendre ce que je veux dire par cette phrase, bien qu’elle ne jouisse d’aucune définition satisfaisante – ni "le cinéma est une reproduction de la vie", ni "le cinéma donne l’impression de la vie", ni "le cinéma paraît comme la vie", ni même "le cinéma est plus vivant que la vie". Non, bel et bien : le cinéma, c’est la vie.


Voici une autre de mes idées, un peu moins vieille, mais tout de même bien ancrée en moi : le cinéma est un art primitif. Ici aussi il y a des réfutations assez évidentes : c’est un art qui est né de la science (de la réaction chimique de l’impression de la lumière sur un photogramme, de la découverte de la persistance rétinienne...), il ne saurait donc être primitif. Ou inversement : comme tout art, le cinéma fut primitif en ses débuts, puis il a évolué pour devenir élaboré. Mais parlons du devenir. Voici ce que je voudrais dire : le cinéma a un devenir primitif. Il y a là un lien à faire avec la peinture, elle qui a atteint une certaine apogée de l’élaboration (la renaissance, l’académisme) pour s’exprimer finalement en tant que support et opérer un retour critique sur elle-même (l’intérêt de Gauguin pour les cultures primitives, la destruction des formes pleines par les impressionnistes, puis des lignes par les cubistes…). Bref : la peinture s’est découverte en tant qu’outil, et y a trouvé un terrain infini d’exploration. Il en va de même pour le cinéma qui n’aspire qu’à la redécouverte du montage et du non-montage, c’est-à-dire précisément du cinéma en tant que cinéma, et non plus du cinéma en tant que mode de narration ni même du cinéma en tant qu’expérience. Effectivement : que peut bien expérimenter le cinéma à part lui-même ? Que va t-il chercher au loin alors que son plus profond secret se trouve dans les larmes de Medvedkine découvrant que, montant deux visages humains, les regards se répondent ?


Mais l’idée la plus jeune, la plus diffuse, la plus incomplète – mais aussi la plus forte – qui m’anime, c’est ce pressentiment que j’ai de l’intimité entre le cinéma et la philosophie. C’est sans doute là le troisième terme de ce sentiment profond d’un renouveau nécessaire du cinéma, gouverné par une économie elle-même à réinventer. Le cinéma, c’est la vie, un art primitif et une relation intime à la philosophie. Toute la difficulté de cet agencement se trouve dans la nécessité d’articuler ces trois notions entre elles, alors qu’elles sont déjà bien peu claires en elles-mêmes. Le corrélat de cette difficulté, c’est de montrer en quoi cette triade précisément n’est compatible qu’avec le cinéma. Mais la réponse se trouve quelque part enfouie dans ce troisième terme. Je pourrais dire, assez obscurément, que le cinéma est voué à se montrer dans sa nudité de cinéma, que c’est son territoire, c’est-à-dire la violence de ses coupes, l’expressivité irréelle de ses modèles, sa capacité fondamentale à résoudre le problème des temps (les successifs et les simultanés en noce dans le montage). Le cinéma est traversé de cet élan mystérieux, de ces fantômes, de ces mondes perdus, de ces affects éternels, cristallisés. Alors, quel sens peut bien avoir la peur de faire un cinéma théâtral ? Il n’y a pas de cinéma-théâtre : il n’y a que du cinéma médiocre.


Mais le plus important, c’est qu’il ne s’agit pas là de faire une théorie du cinéma ni même une pratique du cinéma. Ce livre voudrait desceller l’être du cinéma, celui qu’a frôlé Bazin, celui qu’ont doucement mis à jour les russes, avant que le fantastique chemin qu’ils arpentaient prennent la teinte poussiéreuse des vieux grimoires. Mais ce livre voudrait aussi montrer dans quelle erreur s’est engagé le cinéma. Erreur dont Bresson a probablement – et malgré sa profonde compréhension du cinéma qui contredit son discours – grandement participé.


Le 4 septembre 2020

Pour une nouvelle méthode de production des films

Il faut isoler ce dernier point de mon livre rêvé. C’est le plus fondamental car il questionne le véritable gouvernail du cinéma : comment réinventer l’économie de la production cinématographique ?


Identifions d’abord le problème qui mène à cette question. Il surgit d’un constat que je fais à plusieurs niveaux : celui de spectateur d’abord, celui de technicien dans un second temps.


Comme spectateur, je constate une homogénéisation du cinéma à l’échelle mondiale – mais demeurons à celle française en la traitant comme un échantillon – , sous trois formes principales : l’imitation de l’ancien (Hazanavicius, Ozon), le conservatisme des modes de narration effectifs (que les films soient de bonne qualité ou non, nous pouvons mettre dans le même panier les auteurs de comédie potaches et les films plus personnels comme ceux de Sciamma ou de Triet) et le faux nouveau (Peretjatko, Poggi et Vinel, Mandico). En marge de ces auteurs qui sont tous également pris dans un système que j’ose dire corrompu, des génies existent, qui réfléchissent une autre économie ou inventent un mode de narration inconnu et absolument nouveau (Kéchiche, Dumont). Il va de soi que ce sont aussi eux qui génèrent le plus de polémiques.


Comme technicien, je constate qu’il y a une perte de sens généralisée de ce que veut dire à proprement parler « faire du cinéma ». J’assiste à ce phénomène déjà profondément enraciné : le cinéma comme métier, comme fabrication et en dernière instance comme cloisonnement efficace des strates dans une chaîne de production. Un machiniste fait de la machinerie, un chef opérateur fait de la lumière et du cadre, un assistant réalisateur fait du planning, un réalisateur fait de la mise en scène, etc. Mais personne ne fait de cinéma. De ce nouvel aspect du système si rentable, si riche, donnant lieu à un grand capitalisme et une répartition extrêmement précise des rôles et un canevas quasi indétournable pour « devenir réalisateur » – cet agencement général est à la fois militaire sur le plateau, diplomatique dans la distribution et mondain dans la réception – naissent des corporations, des syndicats, des hiérarchies de salaire, des concurrences. Bref, tout ce qui a trait aux révolutions prolétariennes intimement liées aux fabrications à la chaîne dans les usines, et plus généralement aux phénomènes d’aliénation au travail. Le cinéma est donc, à proprement parler, devenu une usine de fabrication.


Ce double constat s’inter-nourrit et génère des raisonnements tels que « il n’y a qu’un seul système de cinéma, conformons-nous y » ou « il y a du travail dans le milieu ». Les jeunes réalisateurs qui nourrissent des velléités de révolution font suivre ce raisonnement de « il sera toujours temps de s’en libérer plus tard ». Mais c’est l’apanage d’un tel système que de n’autoriser l’existence (et c’est une autorisation financière) qu’à des produits conformes. Et c’est bien pourquoi les écoles de cinéma enseignent tout sauf le cinéma. Elles enseignent la conformité militaire du tournage, diplomatique de la production, mondaine de la réception, et le pire, prudente de la création. La prudence, ou plus précisément la peur, est comme ce moule qui transforme une matière originellement libre en une forme toute prête pour le four. Et ce insidieusement, presque sans qu’il soit possible de s’en rendre compte.


Ce sont là les arguments très personnels – et qui ne peuvent générer presque que des désaccords – qui me poussent à dire qu’il existe aujourd’hui une perte du sens de ce qu’est le cinéma. Et l’origine de tout le mal est bien entendu économique.


Je proposais dans mon article « La philosophie et le cinéma » l’adhérence à une trinité qui permettrait de renouer avec une ontologie du cinéma, et qui concerne l’intimité du cinéma avec la vie, son devenir primitif et son inhérence avec la pensée philosophique. Mais il faut que tout cela existe dans une méthode économique que je ne suis pas encore prêt à mettre en place, mais dont je sens néanmoins toute la nécessité.


Je m’en remets à ce dangereux aiguillon qu’est l’histoire, et qui fait moins l’objet d’une preuve de ce qui adviendra ou doit advenir que de l’intuition d’une forme cyclique des crises et du renouveau. Tous les mouvements véritablement nouveaux et profondément cinématographiques qui jusqu’ici ont vu le jour se sont émancipés de la bourgeoisie (Nouvelle vague française) ou des studios (Néo-réalisme italien, Nouvelle vague américaine de Cassavetes) en faisant vœu de pauvreté. Cette notion de pauvreté est, à mon sens, un aspect fondamental de toute forme de création artistique – et s’il en découle richesse, ou si son exécution nécessite la richesse, il y a fort à parier que toute création par essence intime se corrompe en industrie. La corruption de l’argent n’est donc pas celle du collectif (qui est un des fondements de tout art et singulièrement du cinéma), mais bien de l’industriel. Un canevas économique n’est pas une méthode de création, mais un schéma industriel à but lucratif. Et c’est ce schéma qui aspire le caractère de cinéma du cinéma en n’en faisant plus qu’une coque, qu’un ensemble vide où faire prospérer une économie, ou si l’on pousse plus loin la métaphore : une tirelire.


La pauvreté (qui est un système économique à part entière) est pour moi la clé d’un cinéma qui se remplit de cinéma. Son attraction pour les techniciens ne doit plus être pécuniaire mais artistique ; il faut en finir avec la hiérarchie des salaires et loger tout le monde à la même enseigne ; il faut en finir avec le matériel, en réduisant à rien lumière, machinerie, effets spéciaux, figuration, changements de décor ; il faut en finir avec la pression des festivals, la crainte de la durée et de l’audace ; il faut en finir avec le cinéma comme mondanité, les repas, les goûters, les cafés interminables, l’indifférence au film ; il faut en finir avec l’incohérence du temps de tournage et de la longueur du scénario. Un réalisateur doit s’adapter à son économie et non l’inverse ; rendre possible son film dans son contexte économique de pauvreté, et ne pas vouloir le déborder par ambition ou mégalomanie. Un pied, une caméra, un petit groupe de technicien, des contraintes réduites à rien, une liberté élargie à son plus haut degré d’angoisse. Un tel système ne peut remplacer l’actuel, mais il peut exister en marge, non comme imitation du géant industriel, mais comme existence indépendante, aspirant à remplir le cinéma avec du cinéma à travers une méthode nouvelle.


A lire une telle énumération, si l’on reste du point de vue du cinéma dans sa méthode ou dans son schéma économique actuel, on ne peut que rugir (tout travail mérite salaire, il faut bouffer, le droit du travail, et l’ancienneté dans tout ça…). Mais la base d’un tel système est que, comme l’assistant qui préparait au peintre ses pigments et dressait ses toiles, chaque technicien ne soit pas enfermé dans son métier clos, mais aspire à être lui-même réalisateur en profitant de la porosité qui doit exister entre travailler sur un tournage et réaliser un film. Ainsi, chacun sera bien assuré, à tout poste, de faire du cinéma – comme Chabrol ou Kurosawa furent assistants avant d’eux-mêmes réaliser.


Le 8 septembre 2020

La théorie du déraccord

Il faudrait revenir à l’origine de la « coupe » au montage, constater ce qu’elle est pour nous aujourd’hui, et jeter les fondements d’une nouvelle définition.


La jonction entre deux photogrammes, ce « bond » inqualifiable d’une image vivante à une autre image vivante, est un pouvoir sans mesure. Il peut être un petit bond, d’un personnage à un objet au sein d’une même espace, dans un même temps ; il peut être un très grand bond, d’une époque à une autre, d’un pays à un autre, et plus se fait vieille l’histoire du cinéma, plus le potentiel de ces bonds se fera gigantesque et vertigineux. Mais ce qui est incommensurable, c’est l’infinitésimal espace qui existe entre ces deux images, et qui est le même quelque soit la nature du bond.


Cette « coupe » a une longue histoire. Elle a suscité les larmes de Medvedkine quand deux visages se sont regardés pour la première fois, l’étonnement de Koulechov quand il s’est aperçu que le même visage d’un homme pouvait exprimer tristesse, faim, désir, dégoût en fonction de l’image avec laquelle il était monté. On a alors cru voir dans la coupe une création de sens par l’assemblage de deux images qui se répondent dans un temps et un espace simultanés : c’est le raccord. Ce mot de « raccord » porte avec lui toute une vision du monde et toute une vision de la narration. Il s’est précisé avec le temps de règles d’axes, de degrés, de regards, de droits à la « triche ». Si le raccord a connu un tel progrès et un tel enracinement dans le cinéma, c’est qu’il est, croit-on, le principe de l’illusion cinématographique. Deux images tournées potentiellement à plusieurs heures d’intervalle créent, montées ensemble, l’illusion d’une succession immédiate. Ce même principe, cette fameuse « magie » bien appliquée ou délibérément rompue, est le point de départ d’une homogénéisation du cinéma : tout mode de narration, tout registre, toute histoire est racontée avec des raccords appliqués (la coupe s’efface dans sa fluidité immédiate ou son emploi de transition médiate d’une scène à une autre) ou rompus (désobéir aux lois des axes et des regards, créer des contrepoints dans l’objectif commun de « perdre le spectateur », pour qui la coupe n’existe que comme raccord ou principe de continuité).


Il y a un autre emploi de la coupe qui n’est ni le raccord, ni le contraire du raccord relativement à lui-même (ne faire autrement que pour agacer l’habitude, ou principe de réaction). Cet emploi a été longuement théorisé par les russes, Einsenstein en tête, et c’est celui de la sensation. Il y a un art du montage qui ne consiste pas à raconter au sens d’une narration fluide aux coupes invisibles, mais bien plutôt à donner à voir selon l’expression d’Eluard, et c’est bien là tout ce qu’est le cinéma. En donnant à voir, le cinéma s’éloigne de la copie du réel qui est bien une illusion, une mimesis, une force de compassion, et s’approche de la vérité de son être, la capacité que lui seul possède et que tout art lui jalouse : c’est un art de la tempête, un art de la puissance, un art de l’expression brute, plus tyrannique que la musique, plus imposant que la littérature, plus massif que la sculpture, plus libre que la peinture. En grossissant les mouvements des foules de grève, ou les comparant aux cochons dans un abattoir, en décuplant et répétant les mouvements de hordes d’animaux, en abîmant son propre support jusqu’à n’être plus que taches de noir et de blanc, magma de couleur, limite de lui-même dans un mystérieux silence et un mouvement impossible à suivre, le cinéma déraccorde les images entre elles, saisit ce lieu si particulier et si mystérieux de la coupe, l'explore de l'intérieur, existe dans cet incommensurable bond entre deux images, "entre les actes" (V. Woolf) et crée ainsi un sens plus profond, si profond qu’il travaille jusqu’à la pensée du monde, jusqu’à l’être du monde et que nul ne peut concevoir ce qu’il dit, même celui qui est l’auteur du film : car ce qu’il a enregistré le dépasse, et les intuitions mystiques (loin cette fois du fade prétexte narratif) qui l’ont poussé à lier deux images entre elles, sont un fragment du grand mystère, dont son propre film lui donne l’image étrange et fascinante d’un Tout inaccessible.


Il faut établir une théorie du déraccord au cinéma. Le déraccord est sa prochaine expérience et son avenir : l’exploration de son déséquilibre, l’essai de sa perte, de sa destruction, de sa mise à nu. C’est dans le déraccord que se saisira le mieux le cinéma comme nouvelle philosophie, générateur d’une matière de l’esprit toute nouvelle, une phénoménologie observable dans sa chair, dissécable. Le cinéma du déraccord, c’est la possibilité d’une autopsie du monde.


Le 29 septembre 2020